Psychothérapie et psychanalyse, quelle différence ?
- Bongue Camille
- 30 août 2018
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juil. 2019
On entreprend une psychothérapie parce qu’un problème nous accable, une douleur nous écrase, un symptôme nous entrave, ou une situation nous paraît insurmontable. Dans ce cas-là, il existe un certain nombre de thérapies différentes, qu’elles soient brèves ou engagent sur du moyen terme.
Parmi les thérapies brèves, qui semblent rassurantes (on veut en finir rapidement, sans douleur et sans trop d’investissement), paraissent efficaces et ne demandent en définitive que peu d’engagement, on trouve les thérapies cognitivo-comportementales, sortes de « rééducation » des schémas mentaux et des comportements à « réadapter », en somme, à « normaliser » -ces thérapies, issues entre autres de la psychologie animale de Pavlov (rappelons-nous le réflexe conditionné chez le chien) ressemblent souvent à un forçage, voire à une violence faite à la singularité du patient ; une phobie, par exemple, est traitée en obligeant le patient à se confronter de plus en plus près à l’objet phobique (le principe de l’habituation), ceci dans le maintien de l’angoisse que ça lui procure. La phobie, après un programme rigide et une technique préconçue, semble disparaître… Seulement voilà : elle réapparaît dans 90 % des cas, six mois, un an plus tard : le symptôme s’est déplacé, la phobie a juste changé d’objet. On a donc agit sur le symptôme, mais pas sa cause ni son sens profond dans l’histoire du sujet ; on n’a pas travaillé sur le fonctionnement singulier ou la « structure psychique » du patient.
Une autre thérapie brève, l’hypnose, est efficace dans des cas précis, mais peut se révéler dangereuse pour certains patients, car elle peut faire ressurgir des éléments traumatiques profondément refoulés, que le patient n’est pas forcément prêt à accueillir, accepter ni travailler et guérir. Cela peut même provoquer des « décompensations » (c’est à dire des effondrements de l’équilibre psychique, même précaire) chez des patients dont on ignore la structure, que l’on n’a pas ou mal diagnostiqués ; cela peut-être alors le basculement dans une profonde dépression, voire dans la psychose (délire, paranoïa, et même hallucinations).
Néanmoins, pour des problèmes relativement peu graves, et pour des patients « imperméables » au travail de parole, l’hypnose peut se révéler bénéfique et efficace, si un protocole de soin est respecté, avec un certain nombre de séances préliminaires pour préparer le patient et évaluer son trouble.
Par ailleurs, on connaît à présent l’efficacité, essentiellement pour traiter les traumatismes et les syndromes de choc post-traumatiques, de l’EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing », c’est-à-dire désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires), qui n’est pas une thérapie verbale, mais peut ouvrir sur une psychothérapie véritable, dans laquelle le trauma est abordé par la parole pour en percevoir les résonnances dans le psychisme et l’histoire du patient. Sans ce travail de parole à la suite de séances d’EMDR, le patient risque de se voir coupé d’une partie de son histoire, et surtout, incapable d’aborder les conséquences multiples du traumatisme dans son psychisme.
Ces trois abords thérapeutiques ne sont que des exemples parmi d’autres…
Enfin, il y a la psychothérapie psychanalytique. Elle peut être brève également, le thérapeute ne cherchant pas à donner des réponses toutes faites au patients mais plutôt, lui permettant de trouver ses propres réponses, en allant en quelque sorte de questions en questions nouvelles. Certes, le thérapeute analytique conseille, quoique prudemment ; il accompagne, soutient, grâce à sa capacité d’empathie et d’accueil. Cela peut être une thérapie de soutien pour traverser un passage difficile, pour « dénouer des nœuds » actuels, mais elle consiste en tous les cas en un travail de et sur la parole, lequel se déploie dans le dialogue où le psychothérapeute met toute sa bienveillance dans son écoute, se gardant de juger le patient, et accueillant toutes ses émotions.
Le but et d’aider celui-ci à « se décaler » de sa situation, à changer d’angle de vue sur ce qui le fait souffrir, à prendre du recul quand il n’arrive plus à avancer. Cela se fait grâce aux interprétations du psychothérapeute, à ce qu’il entend derrière les mots ou expressions que le patient choisit. Il perçoit, révèle et interprète les équivoques du langage, les non-dits, la dimension inconsciente du discours du patient. Comme un passeur accompagnant le patient dans son cheminement, le thérapeute le soutient dans la traversée d’un passage difficile, l’aidant à trouver ses propres solutions –car tous les vendeurs de bien-être et autres coachs de vie, qui vous offrent sur un plateau des recettes toutes faites du bonheur, ou vous affirment ce qui est bon pour vous, ne sont que bonimenteurs et charlatans qui se mettent à une place supérieure de savoir et de toute-puissance.
Or, seul le patient sait au fond de lui ce qui est bon pour lui et lui seul, et il détient le savoir sur lui-même dans son inconscient. Le principe selon lequel c’est le patient qui sait et qui nous enseigne est un des piliers de la psychanalyse, et de la psychothérapie qui s’en inspire. J’aborderai deux autres de ces « piliers » par la suite.
Ce qu’on peut dire c’est que grâce à ce travail de libre parole, dans lequel le patient a pu exprimer des choses inédites, où il a pu accepter un certain nombre de choses et apprendre à envisager autrement sa position, le problème est surmonté, le symptôme levé, et le patient peut s’en retourner à sa vie et aller de l’avant.
Seulement voilà : le symptôme est toujours symptôme d’autre chose ; s’il disparaît, sa cause peut rester obscure. Et cela, on ne le découvre qu’en psychanalyse. Le premier pas, le « bond en avant », n’est pas évident à faire. Le patient va mieux, il décide de s’en aller. Peut-être reviendra-t-il avec une problématique nouvelle mais, au fond, celle-ci se révèlera plus ou moins liée à la première qu’il aura dépassée. Dans d’autres cas, pas si rares, le patient, au contraire, se sent prêt à poursuivre. Il entre alors en psychanalyse.
La psychanalyse effraie souvent, voire rebute : on s’imagine que cela dure nécessairement des années, et que l’on va devoir rouvrir brutalement des blessures, « gratter des plaies ». Les choses ne sont pas si simples, fort heureusement. Une psychanalyse, si l’ « alliance thérapeutique » est bien scellée, peut aller très vite (l’alliance thérapeutique signifie l’engagement réciproque du psychanalyste qui respecte une éthique comportant entre autres l’absence de tout jugement moral, la bienveillance et l’empathie, et du patient qui s’engage à respecter le cadre du travail et sa seule loi : l’association libre des idées, comme elles viennent, sans omission et sans autocensure.)
Bien sûr, par rapport à une psychothérapie, le cadre de travail change : bien souvent (et quand le patient est prêt), on adopte la posture allongé sur le divan, en se détachant du regard de l’autre qui constitue un miroir et un soutien narcissique (cette part fondamentale et archaïque de nous-mêmes où nous nous aimons et nous reconnaissons suffisamment pour être affectivement et psychiquement « solide »). Les yeux au plafond, on est alors face à soi-même, sans image renvoyée par quoi que ce soit.
La position allongée, évoquant le fait d’ « accoucher de soi-même » et d’un savoir sur soi enfoui dans l’inconscient, qui se révèle peu à peu, permet de prendre le temps de la parole, laquelle change de nature pour devenir « parole pleine » : plutôt que de raconter sa vie par le menu, on en vient à écouter les résonnances de certains événements, surgis spontanément en laissant aller ses penées, avec des souvenirs passés. Il s’agit donc d’une rencontre avec soi, à travers un nouveau discours sur soi-même, ponctué de silences qui laissent mûrir les prises de conscience et relancent les associations d’idées.
L’analyste, bien sûr, en vient à interpréter ce qui se révèle (par exemple à travers les double sens, les équivoques ou les thèmes récurrents) dans la parole de son patient et que celui-ci ne perçoit d’abord pas. L’analyste est aussi amené à associer ce discours avec ses propres idées, mais il laisse le plus possible la place à la parole de son patient, qu’il se contente de relancer, si besoin est, si elle est soudain coupée ou empêchée, avec des questions nées de l’écoute.
Les deux grands piliers de la psychanalyse (que ne prennent pas en compte ou nient carrément les trois types de thérapies citées plus haut), sont le transfert et l’inconscient.
Le transfert, ce lien réciproque (on parle de contre-transfert du côté de l’analyste) entre patient et analyste, qui se situe d’abord dans l’inconscient, et qui rejoue tout à tour des relations avec des membres de la famille, des amis ou des « ennemis », bref de l’environnement infantile du patient, et qui remet en scène des éléments fondamentaux de son histoire. Sans transfert, pas d’analyse, et celui-ci fait justement l’objet d’une analyse permanente, afin de guider le travail.
L’inconscient, cette part ignorée du sujet, qui détient le « savoir insu », cet « autre moi ou autre scène », ce Je qui n’est pas le moi mais le lieu, à la fois de sa part sombre voire effrayante, et de la source profonde de son élan vital, que Freud appelle libido. « Je est un autre », disait Rimbaud, en visionnaire. Cet « autre » à l’intérieur de soi, souvent vécu comme étranger, nous révèle pourtant (à travers les rêves, les lapsus ou les actes manqués par exemple) ce que nous sommes au fond, en refusant de le voir ou en s’interdisant de le devenir. De cet inconscient, il s’agit de se faire un allié en le laissant émerger dans le travail psychanalytique, qui est la voie de la (re)découverte de soi-même.
Ainsi, transfert et inconscient fonctionnent ensemble, se déployant l’un dans l’autre et se soutenant mutuellement dans l’avancée du travail.
En conclusion, la psychanalyse n’est donc pas une façon de se voir « décortiqué » par l’analyste, ni mis à nu de façon brutale : c’est une aventure sur le chemin de sa propre authenticité.
La psychothérapie peut déboucher (et débouche souvent logiquement) sur une psychanalyse, une fois le problème actuel surmonté ; à travers le soin apporté à ce problème présent, ont émergé, résonné, des questions plus profondes et fondamentale qui appartiennent à l’histoire du patient. Les douleurs présentes ont souvent fait signe vers des blessures plus anciennes, voire « archaïques » de la (toute) petite enfance.
Si le patient est prêt, car il pressent que ce sera parfois douloureux avant de se montrer libérateur, il passera donc de la position assise en face à face à la position allongée, avec le psychanalyste derrière sa tête, comme pour le soutenir dans l’accouchement de lui-même. Le patient rencontrera donc des parts ignorées ou oubliées de sa personnalité, dans une descente en soi-même qui se révèle toujours, si le travail est mené jusqu’au bout, radicalement libératrice : on se retrouve et se redécouvre, à la fois changé et pourtant tel qu’on a toujours été. La psychanalyse, en cela, est une seconde naissance.



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