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PSYCHANALYSE ET LANGAGE : de la voix à la voie.

  • Photo du rédacteur: Bongue Camille
    Bongue Camille
  • 10 janv. 2019
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 juil. 2019


A bien des égards, et selon des modalités que je vais essayer de développer le plus succinctement possible, le langage est au cœur-même de la psychanalyse. Freud parlait d’ailleurs de « la cure par la parole » ; bien que parole et langage ne soient pas équivalents, puisque la parole est le lieu où se situe le sujet singulier, dans la trame du langage qui soutient toute son existence.

Plus encore, Lacan parle de l’humain comme « parlêtre » : la parole est la texture même de notre être, et le langage est à l’origine de notre inscription, en tant que sujet, dans notre lignée comme dans toute l’humanité qui nous précède. Nous ne sommes que d’advenir à et de nous déployer dans la parole, et nous naissons déjà dans un « bain de langage », berceau qui nous accueille et nous précède, nous humanisant dès notre naissance.


On pourrait arguer que ça n’est pas le cas des sourds et muets, ou encore des autistes non parlant ; mais le sens que la psychanalyse donne au langage excède la parole vocalisée. « Tout est langage », nous dit Dolto : le corps parle lui aussi, avant la parole ou quand elle est empêchée. Le babil du bébé, ses lallations et même ses cris sont déjà un langage que la mère « traduit », comprend, et auquel elle répond. (Les échanges exclusifs et parfois incompréhensibles des mères et de leurs enfants, constituent pour les psychanalystes d’enfants actuels, une langue particulière et privée, le « mamanais ».)

A l’inverse, le bébé comprend déjà le langage dès sa naissance : Dolto, dans son séminaire sur la psychanalyse d’enfants, en montre de nombreux exemples cliniques Notamment le cas d’un enfant psychotique adopté, quasiment non parlant et totalement dépendant des adultes tutélaires, qui reproduit dès la première séance un dialogue étrange qu’il restitue avec deux voix distinctes, dans lequel une mère et sa propre mère se disputent pour décider d’abandonner ou de garder un nouveau-né. Dolto apprendra par la mère (qu’elle ignorait) adoptive de l’enfant, qu’elle avait entendu ces cris déchirants, attendant dans la pièce voisine que se fasse l’adoption clandestine. L’enfant avait donc enregistré dans son inconscient cette tragédie qui marquait son origine, énigme de sa naissance qui l’empêchait de devenir sujet de sa parole et des verbes de sa vie. Dès cette séance et après que sa mère ait pu enfin mettre en mots cet événement, il se mit à parler.

Les comportements symptomatiques de conflits inconscients sont donc toujours des paroles détournées du dire ; il s’agit de comprendre vers quelles questions, problématiques ou savoirs inconscients font signe ces symptômes.


Plus encore, le langage marque le corps : des parole blessantes ou des malédictions peuvent abîmer le corps qui les reçoit, les refoule ou les forclot comme dans le cas cité à l’instant. Les symptômes sont autant d’énigmes langagières que le psychanalyste doit s’évertuer à résoudre, un langage codé qu’il doit décrypter, à l’aide de l’histoire du patient et des mots (Lacan dit « signifiants ») qui la ponctuent.

A titre d’exemple plus banal, on peut citer l’aphonie qui suit parfois un choc traumatique : le sujet en a « la parole coupée » ; ou encore, cette « boule dans la gorge » si fréquente dans la symptomatique de l’angoisse : quelque chose a à se dire, qui ne peut se dire sans douleur. Une des patientes de Freud avait même eu « les jambes coupées » (soit une paralysie des membres inférieurs, sans origine organo-somatique) en réaction au départ d’une personne qui lui était tutélaire.

Tout est langage, donc, et nous ne sommes que de parler.


Faisons un pas de plus et passons du langage à la langue. On pourrait dire que, baigné dans sa langue maternelle, le sujet se fabrique au fil de son histoire sa langue singulière ; au croisement de ces deux il y a la signification (générale et personnelle) des mots de la langue maternelle, ainsi que des langues que le sujet aura apprises et intégrées.

Ainsi, les mots que le sujet s’approprie dans son imaginaire sont liés à sa langue maternelle et à sa culture propre, mais chaque sujet a sa propre gammaire symbolique : un signifiant renvoie à un autre signifiant, de façon singulière et unique pour chaque sujet. En outre, les premiers mots qui ont marqué l’enfant ont cette polysémie qui renvoie à son histoire et à celle de sa famille, et enfin au réseau langagier de sa langue maternelle. Aussi, une psychanalyse ne saurait être faite autrement que dans la langue maternelle de l’analysé et de l’analysant, ou du moins, dans une langue parfaitement maîtrisée et pratiquée suffisamment longtemps pour être intégrée dans son inconscient. [A ce titre, je recommande aux patients anglophones l’excellente analyste et thérapeute bilingue Gorana Arnaud : https://www.gorana-psy-montpellier.com]


Cette importance primordiale de la langue maternelle s’explique par le fait que les mots ne sont pas « à sens unique » ; toute l’épaisseur du langage est au contraire dans ses équivoques : double sens, homonymes ou homophones ouvrent la dimension de l’inconscient, « structuré comme un langage », nous dit Lacan. Il y a donc un vocabulaire et une syntaxe subjectifs pour chacun de nous, qui se révèle à notre conscience dans le cheminement analytique.

A titre d’exemple assez banal, dans un rêve, l’image qui renvoie au signifiant « mer », en français, fait signe vers la « mère » dans l’inconscient du rêveur. Ce qui ne sera pas le cas si le patient choisit de traduire l’image du rêve par le mot « océan ». De même, l’évocation inconsciente de la mère passera par une autre image, un autre signifiant, dans une langue où la mer serait un mot masculin.

Par ailleurs l’équivoque d’un mot est toujours parlant, ce qui se voit sans cesse dans la clinique : par exemple, « envie » peut aussi signifier « en vie ». Voici une vignette clinique : une mère veuve ayant en quelque sorte remplacé son mari par son fils unique, devenu l’homme de la maison, lui dit un jour : « tu est le mal » -le patient, qui avait progressé dans l’écoute de son inconscient, entendit immédiatement : « tu es le mâle » et fit le lien entre les deux mots : être pour elle le mâle, c'était le mal, l'interdit de l'inceste transgressé.


Le langage consciemment vocalisé est donc indissociable de l’inconscient, ce qui se révèle par diverses voies : lapsus, actes manqués, rêves. Un lapsus exprime toujours, au-delà de ce que le sujet a voulu exprimer consciemment, un désir plus profond et inconscient, souvent inavouable, que le refoulement a laissé échapper. Un exemple comique concerne un professeur qui, voulant évoquer les deux courants de la religion protestante, et au lieu de parler de Luther et Calvin, laisse échapper « Lutin et Calvaire ». Dans ce cas, il transgressait le respect dû à cette religion dans sa famille pratiquante qui n’était que légende et auto-flagellation.


De même faut-il interroger tous nos actes manqués. Le patient oubliant systématiquement son chéquier ou son portefeuille a ainsi du mal à admettre qu’il doive « donner de lui-même », concrètement comme symboliquement, pour que le travail analytique soit authentique. Inconsciemment, il croit encore que tel une mère, l’analyste doit lui procurer une aide inconditionnelle et gratuite, ou encore se met-il en dette, comme de cette dette imaginaire qu’il doit à ses parents pour lui avoir « donné » la vie.

Autre exemple spectaculaire : une mère particulièrement possessive avec son fils unique, une fois encore inconsciemment élu comme son homme et sa propriété, fait un choc anaphylactique après avoir mangé des crevettes le lendemain de la naissance de sa petite fille ; or, elle savait pertinemment être allergique à cet aliment. Ce geste équivaut à un simulacre de suicide, et on peut en conclure que pour cette femme, son fils ne pouvait être père sans la détrôner de sa position dans la relation exclusive qu’elle avait avec lui. Qu’il devienne père, c’était la faire mourir en tant que mère, qui devait céder sa place à une rivale. Ainsi, cet acte manqué s’adressait-il au fils unique : comme le dit Lacan, « tout acte manqué est un discours réussi ».


Enfin, comme le dit Freud, « le rêve est la voie royale vers l’inconscient ». Le rêve, d’après lui, est construit comme un rébus : les mots évoqués par les images du rêve s’articulent pour former une phrase ou une énigme, qui se dénoue (parfois seulement partiellement) grâce à l’interprétation, ou plus précisément, les associations immédiates et spontanées du rêveur, auxquelles s’ajoutent celles de l’analyste.

Citons par exemple cet obsessionnel qui multipliait les listes saturées de rappels, qui fait un jour le rêve d’un ratqui résistait à ses tentatives de l’écraser avec une pelle : il s’agissait ici encore d’un rappel (rat-pelle). Ou encore, dans la catégorie de ces rêves énigmatiques, cet adolescent qui fait un rêve tout à fait incohérent, où apparaissent les images d’un château, d’un bateau, d’un gâteau, d’un chapeau, et ainsi de suite. L’analyste entend immédiatement le signifiant « eau », terminaison de chacun des mots de la série, et le souligne. Le patient se rappelle soudain qu’il a failli, enfant, mourir par noyade. Ce rêve est le a pour fonction de traiter un événement traumatique par le langage dans l’inconscient, à travers un déplacement de sens.


Pour finir, j’évoquerai cette formule communément employée qui, si elle paraît simpliste, représente le cœur de la cure psychanalytique, qui consiste à « mettre des motssur des maux ». Les traumatismes vécus dans l’enfance (ou encore des secrets, des non-dits) peuvent être refoulés, tout en continuant à agir inconsciemment sur le patient. A force d’écoute et d’associations du thérapeute, et à mesure que le patient se rend disponible à l’écoute de son propre inconscient (notamment grâce à la levée progressive de ses défenses et de ses résistances) les mots justes associés à des affects douloureux émergent et libèrent le sujet en rendant ces affects objectivables, les mettant à distance : ici, « le mot est bien le meurtre de la chose », comme dit encore Lacan.


Ce dernier parle aussi de la « morsure du signifiant ». En effet les mots peuvent sauver, mais aussi condamner, comme des oracles tragiques que le sujet réalise malgré lui, car il les porte au plus profond de lui-même, dans l’insu, comme si elles le définissaient. Comme je l’ai dit plus haut, certains mots ont « mordu » le corps et ont laissé sur lui des plaies ouvertes, qui ne se referment et ne cicatrisent qu’en levant le sacrilège de ces « maux-dits ».

Ainsi le langage et la parole redonnent-ils sens à l’existence du sujet, le soignent et le libèrent, en lui permettant de découvrir le sens de ses symptômes, problématiques ou impossibilités.


En somme, la psychanalyse est de bout en bout une affaire de langage, en tant qu’origine, destination et cheminement. Tout au long du chemin de sa vie, le sujet humain est assuré de son existence par le langage qui le précède, « trésor des signifiants », et projeté vers lui-même par la création incessante de sa propre langue subjective, se saisissant de mots par lesquels il se redéfinit, tissant le symbolique à l’imaginaire, l’Autre au moi, et déployant sa voie entremêlée avec la voix de l’inconscient. Il naît et renaît à lui-même par les mots, grâce à l’épaisseur de leurs significations. Telle est la condition unique du parlêtre.



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