La sécurisation de l’enfant par l’objet transitionnel (doudou).
- Bongue Camille
- 26 août 2018
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 9 juil. 2019
La découverte du rôle fondamental du « doudou ».
Le concept d’« objet transitionnel » a été conçu par Donald W. Winnicott, d’après l’étude du phénomène quasi-universel, chez l’enfant, de posséder un « doudou », qu’il choisit parmi divers objets, qui est irremplaçable et omniprésent dans sa vie d’enfant. Cet objet se situe selon l’auteur entre le pouce sucé (qui relève de l’« érotisme oral », c’est à dire le plaisir que prend originellement l’enfant à téter sa mère, le pouce sucé étant une expérience dérivée et palliative de la tétée) et l’ours, qui représente l’ébauche de sa relation future aux objets et personnes extérieurs. L’objet transitionnel, qui se situe entre les deux dans l’évolution de l’enfant, symbolise notamment le sein de la mère. Aussi, il participe en grande partie au sevrage : grâce à lui, l’enfant apprend progressivement à s’en détacher.
· Une expérience intermédiaire.
Outre la fonction de réassurance de l’enfant notamment en l’absence de sa mère, l’objet transitionnel est aussi le premier « objet qui ne fait pas partie de son corps, mais que l’enfant ne reconnaît pourtant pas encore complètement comme appartenance à la réalité extérieure. » Il est le point de convergence et de simultanéité de la réalité intérieure et de la réalité extérieure, et ouvre sur un troisième espace d’expérience, une « aire intermédiaire » ou « aire transitionnelle », « où la réalité intérieure et la réalité extérieure contribuent l’une et l’autre au vécu ».
C’est encore une « aire de détente » où l’enfant peut se tenir à l’abri à la fois des « menaces extérieures », et des pulsions, sensations et émotions contradictoires qui l’habitent, qu’il ne maîtrisera que longtemps plus tard, et qui peuvent l’angoisser. Il utilise cet objet, par exemple, au moment de s’endormir, comme défense contre l’angoisse et la peur ; de même, quand il traverse un moment « insécure », il réclame son doudou. Plus encore, cet objet ouvre un espace où se rencontrent l’intériorité et l’intériorité, et cette aire sera aussi celle du jeu, de la créativité, et plus tard, chez l’adulte, celle de la création, du goût des arts, du rêve ou plutôt de la rêverie (qui nous permet là encore de prendre possession de la réalité, de la « filtrer », de la transformer) …
· L’ambivalence primaire
On observe que le doudou est à la fois câliné et agressé voire mutilé : c’est le reflet de cette simultanéité, en lui, de l’extériorité et de l’intériorité. Le bébé se rassure lui-même et en même temps, fait barrage ou « traite » l’extériorité qui peut être menaçante. Sa façon de « traiter » son doudou reflète aussi l’ambivalence des sentiments qui habite tout enfant, l’intrication primitive de l’amour et de la haine. Il transpose ainsi sur l’objet transitionnel des sentiments et sensations qu’il vit dans ses rapports aux parents, à la fratrie, etc…
· L’objet transitionnel manquant et la thérapie.
Parfois, l’enfant n’a pas élu d’objet transitionnel, la mère est alors utilisée en tant que telle. Ou parfois, le développement affectif d’un enfant est tellement perturbé qu’il ne lui permet pas de jouir de ce stade transitionnel. Cela le fixe à la mère et rend difficile son autonomisation primaire, sa « sortie dans le monde », et la constitution, chez lui, d’un espace intérieur subjectif. L’absence d’objet transitionnel rend difficile l’instauration de cette « aire intermédiaire » qui en quelque sorte constitue l’ébauche de sa liberté première.
Mais cela n’est pas irrémédiable : la thérapie sert entre autre à restaurer cet espace manquant, en le construisant entre l’enfant et le thérapeute. Parmi les techniques qui y contribuent (notamment le jeu, le dessin, le modelage) la technique du « Squiggle », inventée par Winnicott, est particulièrement efficace : l’enfant et le thérapeute dessinent chacun son tour un trait, une boucle, quelque forme que ce soit, et peu à peu, un dessin apparaît, qui sera interprété par l’enfant et le thérapeute. Par cette technique, un espace de rencontre est créé, dans lequel l’enfant « apprivoise » l’extériorité qu’incarne le thérapeute. En effet, le dessin fait partie de la réalité de chacun des deux. A partir du moment où cet espace (qui n’est autre que celui du transfert) est installé, l’aire de jeu sera peu à peu conquise, et de façon efficace, à travers l’utilisation répétée de médiums thérapeutiques.
· Le bénéfice de la frustration progressive
L’aire interne et l’aire externe peuvent être mises en relation avec les concepts freudiens de « principe de plaisir » (qui relève de la réalité intérieure) et le « principe de réalité (qui représente le dehors et ses nécessités).
Au départ de la vie du bébé, la mère « suffisamment bonne » « s’adapte sur un mode actif aux besoins de l’enfant ; mais cette adaptation va décroissant à mesure que se développe chez l’enfant la capacité de faire face à un défaut d’adaptation et de tolérer les conséquences de la frustration. » Celle-ci, introduite de façon progressive par la mère, constitue une étape essentielle dans la construction de l’enfant ; sans frustration de la part de la mère, l’enfant n’institue pas le principe de réalité et deviendra un de ces adultes dont on dit qu’ils sont « intolérants à la frustration » ou encore qu’il cèdent à tous leurs désirs, ayant manqué de limites structurantes –ce qui cause une souffrance difficile à dépasser dans les relations avec le monde extérieur. Ainsi, seule la « mère suffisamment bonne » permet à l’enfant de s’autonomiser via la frustration et le détachement progressif d’elle-même, construisant les bases de l’indépendance future de l’enfant. Comme le dit l’auteur, « une adaptation incomplète au besoin rend les objets réels, c’est à dire haïs aussi bien qu’aimés. » Et dans cette évolution de l’enfant, le doudou a un rôle primordial : il vient pallier la frustration, et accepter que la mère ne soit pas l’esclave de ses besoins.
· L’illusion et la désillusion
A l’origine, « le sein est sous le contrôle magique de l’enfant » : ayant, comme cela a été déduit de nombreuses observations, un « corps sans limite », il s’illusionne sur le fait que ses pleurs font apparaître, instantanément, le sein et le plaisir de la tétée. (En cas de mauvaise adaptation de la mère aux besoin, l’enfant est carencé dans cet état originel de toute-puissance). L’enfant est alors dans un état d’illusion. Or, nous dit l’auteur, « la mère aura finalement pour tâche de désillusionner l’enfant progressivement, mais elle n’y réussira que dans la mesure où elle aura su lui donner tout d’abord des possibilités suffisantes d’illusion. »
Ici encore, l’objet transitionnel permet à la fois de préserver une part d’illusion, et d’accepter peu à peu la désillusion ; d’ailleurs, il est étonnant de voir qu’une fois que ce doudou ne joue plus son rôle, il tombe dans l’oubli et est totalement délaissé par l’enfant.
· En conclusion
L’objet transitionnel prépare l’enfant, et même le bébé, d’une certaine manière, à la vie avec les autres et à l’épreuve de la réalité.
Un usage modéré est préconisé : le doudou apparaît à l’heure de dormir, quand l’enfant pleure, qu’il est fatigué, ou quand la mère s’éloigne. Un enfant qui ne s’en sépare jamais, en quelque sorte, refuse à la fois la pure intériorité et la pure extériorité : son développement affectif risque d’être retardé. Ou encore, cet attachement excessif fait signe vers une carence de soin du côté des parents (bien souvent malgré eux, voire inconsciente).
D’autre part, son absence peut témoigner d’une dimension pathologique chez l’enfant, mais le travail de thérapie répare cette absence d’aire de construction et de développement de l’extériorité et de l’intériorité.
Par la redécouverte et la théorisation de la fonction du traditionnel « doudou », Donald Winnicott, nous révèle les étapes fondamentales du développement de l’enfant et de sa capacité à se construire une ébauche d’autonomie et de liberté.
Références :Les objets transitionnels, Jeu et Réalité.
Pour répondre à la question de Gorana Arnaud: A quel âge apparait l'objet transitionnel et à quel âge il disparaît:
Comme pour l'Oedipe ou un des phases libidinales, il n'est Pas possible de donner un âge exact: ça dépend des individus. Mais on peut dire que le doudou apparaît entre six mois et un an (souvent, il y a un "doudou de première génération, et un doudou de seconde génération) et il disparaît entre trois et cinq ans, selon la maturité affective et l'état de sécurisation de l'enfant.
Merci pour ta question Gorana. Bien qu’on ne puisse faire de généralité, doudou apparaît dans la vie de l’enfant aux alentours de 5 à 6 mois. Winnicott parle d’objets transitionnels de première et deuxième génération. Il est abandonné entre 4 et 6 ans et tombe réellement aux oubliettes, pour parfois réapparaître à l’occasion d’insécurité, d’angoisse ou de phobie, qui déclenchent une certaine régression chez l’enfant. Certains enfants néanmoins gardent leur doudou beaucoup plus tard. J’ai même eu une patiente de 23 ans qui ne pouvait pas s’en séparer avant la fin de sa longue thérapie !
Pour ce qui est de l’objet autistique, il n’a pas du tout la même fonction: il vient compléter en quelque sorte le corps de…
Bonjour, j'aurais une question; le doudou apparait vers quelle age? Et est abandonné vers quel age? Merci pour la réponse. Aussi, si le doudou n'est pas une peluche ou une petite couverture mais un objet dur, disons une petite voiture, faut il être vigilant quant aux signes de l'autisme ou pas forcement?